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Les couvertures de laves en Bourgogne

Dans la présente revue, année 1959, n°1, p. 26-30, dans une étude intitulée « Les couvertures en lave », MM. Maurice Berry, architecte en chef des Monuments Historiques, et Pierre-Claude Fournier, architecte des Monuments Historiques de la Saône-et-Loire, ont rassemblé les observations qu'ils ont faites au cours de restaurations effectuées à des toitures d'édifices bourguignons ; ils ont essayé de déterminer la technique d'un métier aujourd 'hui presque disparu, celui de couvreur en laves.

Ce système de couvertures, à l'inverse de ceux d'ardoises et de tuiles, n'a fait l'objet d'aucune description dans les ouvrages techniques anciens concernant l'architecture ; cependant, nous avons trouvé dans la collection« Descriptions des Arts et Métiers », publiée sous la direction de Duhamel du Monceau et approuvé par l'Académie des Sciences (collection qui précise pour les techniques les rubriques de l'Encyclopédie de d'Alembert et Diderot), à la fin de l'Art du couvreur de Duhamel de Monceau, sept pages intitulées : « Des couvertures en laves », dues au marquis de Courtivron. On y trouve de nombreux détails qui permettent de compléter les remarques de MM. Berry et Fournier.

L'étude se divise en plusieurs chapitres : Tirage, Manière de construire la charpente qui doit porter la couverture de laves ; Préparation que le couvreur en laves donne à la lave avant de l'employer ; Manière dont le couvreur doit employer la lave pour former le toit ; Avantages de la couverture en laves.

M. de Courtivron ne s'intéresse qu'aux laves de Bourgogne ; on les trouve communément, dit-il, dans le bailliage de la Montagne ou de Châtillon, où il en existe des carrières, et dans la plaine de Chanceru, où elles se trouvent en abondance sur la même terre ; c'est pour lui « . une pierre plate de différentes épaisseurs qui se détache aisément et qui se tire à découvert des carrières dont elle forme la superficie. ».

Le tirage est exécuté par des journaliers ou des couvreurs âgés. On fait un découvert, on enlève terre et pierraille et on trouve en général la bonne lave à 65 cm de profondeur. On utilise pour le tirage trois outils : un picà pointe acérée dont la tête est trempée, une pince de 80 cm de long, à talon relevé, un autre pic à pointe et pioche large de 8 cm. Le tireur
introduit la pointe du pic ou de la pioche entre les joints de chaque pierre, s'il y a trop de résistance il prend la pince, il fait abattage et retire la dalle qu'il dispose sur place en petits tas ; afin d'activer le séchage, ces tas font seulement 1 à 2 mètres de diamètre et 0,65 m à 1 m de hauteur, les laves sont inclinées l'une sur l'autre et des vides sont ménagés.

Si la pièce tirée est trop longue, elle est posée sur une bille de bois et cassée avec le pic dont la tête est trempée ; en général, on les réduit aux dimensions uniformes de 50 à 65 cm de long et autant de large, elles ne doivent pas avoir plus de 3 cm d'épaisseur et moins de 1.

La lave qui tient par son propre poids ne doit pas être placée avec une trop forte inclinaison, sinon elle glisserait. La charpente, qui, si elle était couverte en tuiles, pourrait avoir une hauteur égale aux deux tiers de la largeur du bâtiment, sera ici plus basse, elle ne devra pas dépasser la moitié de cette largeur. C'est le rapport que respectaient les couvreurs de Bourgogne, ils l'augmentaient parfois légèrement « pour donner plus de roideur et de grâce au toit ». Les bois devaient être solides. Les pannes avaient de 27 à 32 cm au carré, elles étaient placées à 2 mètres au maximum l'une de l'autre, il y en avait deux pour un bâtiment de 10 mètres de largeur ; les fermes étaient placées à une distance qui variait de 3,25 m à 4 m, les chevrons à 32-40 cm l'un de l'autre ; sur cette charpente ramassée on posait des lattes sur lesquelles reposaient les laves, ces lattes étaient tirées dans des brins de chêne qui mesuraient de 27 à 40 cm de circonférence et de 4 à 6 mètres de longueur, les charpentiers en tiraient quatre par chêne, ils les fixaient sur les chevrons par des clous ou des chevilles ; l' intervalle entre elles ne dépassait pas 10 cm et chacune de leur extrémité portait sur un chevron.

La charpente mise en place, le couvreur prépare les laves qui ont été transportées au pied du bâtiment. Il choisit les plus épaisses et les taille avec la hachette, outil en forme de marteau dont un côté a la forme d'une petite hache à main non tranchante, ces laves épaisses seront placées sur les murs, elles se nomment gouttières et arrières-gouttières.

Pour monter les matériaux sur la charpente, on dressait contre la muraille une échelle que l'on renforçait par des étais ; sur cette échelle prenaient place des manouvres, le plus souvent des femmes, qui se passaient la lave de main en main ; en bas, un couvreur la choisissait et, sur le toit, un autre la recevait. Il mettait grossièrement en place d'abord les gouttières et arrière-gouttières sur les murs puis fichait les autres entre les lattes au fur et à mesure qu'il les recevait ; il prenait soin de charger alternativement chaque pente de façon à ne pas déséquilibrer la charpente ;
ce travail achevé, la toiture était littéralement hérissée.

Il s'agissait alors de donner à chaque lave la place qui lui convenait. Le couvreur tendait d'abord un cordeau supporté par deux baguettes à quelques centimètres du mur et plaçait sur le mur les arrière-gouttières qui dépassaient l'arête de 8 à 11 cm ; sur celles-ci il posait les gouttières qui débordaient à leur tour de quelques centimètres sur les arrière-gouttières, rejetant ainsi les eaux assez loin du pied du bâtiment. Il continuait en posant les laves du bas vers le haut du toit ; il les taillait à petits coups de hachette ou de marteau suivant l'alignement du premier rang et veillant soigneusement à ce que les joints soient alternés. Un problème se posait pour le faîtage : dans les maisons de paysans et les granges, c'est-à-dire pour les couvertures les plus pauvres, le couvreur « . met à plat sur la réunion de deux côtés du couvert deux rangs de laves. », mais chez les particuliers plus riches et « .plus soigneux de la conservation de leurs bâtiments, on emploie des faîtières de tuiles, on les assujettit en les posant sur un bon tas de mortier. » ; on fait parfois des faîtières « . en pierres de tailles larges de 20 à 27 cm et grossièrement arrondies, supérieurement posées à mortier ou à ciment au-dessus de la réunion des deux parties du toit. ». Le faîte pouvait donc être constitué par une rangée de deux épaisseurs de laves, des tuiles, des dalles de pierre. Le marquis de Courtivron ne conseillait pas la lave, qui, légère, peut être déplacée par le vent ou par les oiseaux et provoquer des infiltrations préjudiciables à la charpente, il conseillait enfin de procéder pour les murs-pignons comme pour les murs goutterots en les pourvoyant de gouttières et arrière-gouttières.

La lave tient par son propre poids et ce poids la garantit contre le vent et la grêle ; une telle couverture, si la charpente est solide, peut durer très longtemps, à condition que la lave ait été bien choisie, qu'elle soit sèche et bien saine afin d'éliminer les risques d'effritement ou de pourriture. Le marquis de Courtivron dit qu'il existait en Bourgogne des couvertures faites depuis plus de cent ans, il est certainement très au-dessous de la vérité.

Il suffit d'un entretien régulier pour prolonger indéfiniment leur durée ; ce n'est d'ailleurs, d'après le marquis de Courtivron, qu'au bout d'une trentaine d'années qu'il faut commencer les premières réparations ; il faut alors, le plus souvent, changer environ le tiers des laves, cette révision peut s'échelonner sur plusieurs années, de façon à limiter les frais annuels ; on a ainsi au bout de quelques années une couverture qui résiste parfaitement aux intempéries.

Comme le disaient en conclusion de leur étude MM. Berry et Fournier, la laveétait la couverture bon marché. Le prix de la toise carrée variait de 3 à 6 livres, le couvreur se payait 30 sols la toise carrée et parfois, à ce prix, il fournissait le matériau ; on donnait 1 sou à l'heure aux femmes qui aidaient à la manouvre ; le prix du charroi variait selon les distances, il tournait autour d'une livre la toise carrée (il fallait « trois voitures de paysans tirées par des chevaux de médiocre grosseur pour charrier l'équivalent de 3 toises carrées ») ; la toise carrée de Paris, qui est plus petite que celle de Bourgogne, 4 mètres carrés au lieu de 6,20, revenait à 50 sols 3 livres. La couverture d'ardoises revenait à 12 livres la toise et celle de tuiles à 8 livres 12 sols.

 

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